Le ponton de sa vie

"Mais que vient-elle chercher aujourd’hui, seule, dans ce carrelet, son carrelet ?

Depuis toute petite, elle y a ses habitudes avec sa famille. Chaque recoin, chaque détail n’a plus aucun secret pour elle. Elle l’a tellement exploré qu’elle peut, les yeux fermés, détailler les moindres défauts des lattes de bois, les moindres interstices dans le plafond et les moindres trous dans le filet. Combien d’heures a-t-elle passées dans cet habitacle de fortune avec ses proches ? Combien de fous rires lors de jeux de société, de franches et houleuses discussions ou encore de bons repas ont-ils tous ensemble partagés dans cet étroit refuge ?

À la moindre occasion, ils se retrouvaient tous là-bas. Certaines fois, ils tentaient nonchalamment de pêcher quelques poissons ; d’autres, ils en faisaient une affaire personnelle, et pouvaient passer des heures et des heures à descendre et lever le filet. 

Puis les années ont passées et ces moments conviviaux et familiaux se sont faits de plus en plus rares jusqu’à ne plus exister. Est-ce parce que la famille s’est éloignée, est-ce parce que certains ont quitté ce monde ?

Après de longs mois sans oser y retourner, elle s'est enfin décidée. Face à ce ponton si familier, elle hésite…Dans sa poche, se trouve la clé, la fameuse clé aux deux flotteurs. Elle la sort, la regarde et sourit. Combien de fois l’a-t-elle jeté dans l’eau pour vérifier qu’elle remonterait ? Combien de fois s’est elle fait gronder pour ce geste ?

Clé en main, face à sa vérité tant recherchée, elle s’apprête à franchir le premier pan de bois. Elle avance doucement mais sûrement. Plus elle franchit les lattes, plus elle repense à sa vie…Chaque potelet lui rappelle un moment bien spécifique : au premier potelet, c’est le début, c’est le flou artistique, la toute petite enfance puis vient le deuxième potelet de son enfance où les souvenirs sont vagues. Au troisième, le plus sombre de tous, elle s’arrête un long moment sur son adolescence. Elle repense à toutes ces tempêtes traversées et les cicatrices associées. Une larme coule, elle l'essuie et la dépose sur ce potelet. Ce sera la dernière se dit-elle. Elle reprend son courage à deux mains. Elle serre avec force sa clé, jusqu’à se faire mal pour oublier, et atteint avec plus de légèreté le bout du ponton. 

Nez à nez avec la porte, elle s’arrête. Qu’attend-elle, au fond d’elle, de l’ouverture de cette porte ? La pêche du jour sera-t-elle fructueuse ?

Elle glisse la clé dans la serrure et la tourne. 

Elle ouvre d'un coup sec la porte...

C'est à ce moment là que la porte de sa chambre s'ouvre à son tour. Emmitouflée sous sa couette, le regard endormi, elle sait..."

 

Virginie Queval

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